Les chemises réglementaires de l'armée française

Thème déjà abondamment traité dans de multiples revues et autres publications, l’objectif de cet article est avant tout d'apporter un point de vue global sur l'évolution de la chemise réglementaire au travers du XXème siècle.

Thème qui intéresse tant les collectionneurs que les reconstitueurs, nous nous cantonnons ici uniquement aux chemises "troupe" et laissons volontairement de coté les chemises pour officiers et les fabrications civiles.

la chemise modèle 1878

Il faut remonter au modèle de l'année 1878 pour détailler la chemise réglementaire de l'armée française en 1914. La carrière de cette chemise ne va d'ailleurs pas se limiter à la première guerre mondiale, nous la verrons encore en 1940.

 

En flanelle de coton, elle peut-être à rayures, à petits carreaux ou simplement blanche. Ouverte jusqu'à mi poitrine, il faut l'enfiler par la tête et la fermer par 3 boutons, le dernier fermant le collet. Les 5 boutons (dont les 2 pour les manchettes) peuvent être en os, en porcelaine ou pâte de verre

Contrairement à ses descendantes, la chemise 1878 ne dispose pas de col mais d'un simple collet arrondi. Les marquages réglementaires sont en général très voyants, tamponnés sur la face avant de la chemise.

"Revue" au cours de l'année 1923, elle sera à nouveau décrite au Bulletin Officiel du 1er septembre 1923, sans modification notoire.

la chemise modèle 1935

Après plus de 50 ans de bons et loyaux services, la chemise modèle 1878 a fini par faire son temps.  Victime d'une part de l'évolution des mœurs de l'armée qui veut que la chemise puisse être portée en tenue de cantonnement (lui conférant ainsi le statut d'effet d'uniforme, contrairement au "simple" sous-vêtement qu'est la chemise 1878), et d'autre part de l'évolution de la mode civile.

 

Décrite au bulletin officiel du 10 octobre 1935, elle équipe théoriquement l’ensemble de l’armée en 1939. Dans les faits, des chemises 1878 seront encore distribuées en 1940.

Tampon 1940 sur une chemise modèle 1878
Tampon 1940 sur une chemise modèle 1878

Fabriquée dans une toile dont la teinte "kakie" varie du brun clair (sable) au vert, une version bleu foncé sera également décrite en 1936 pour les chasseurs.

Comme pour la chemise 1878, la nouvelle chemise s'enfile par la tête et se boutonne par 3 boutons, dont le dernier ferme le col. 

Le col, grande nouveauté pour cette chemise militaire, se boutonne sur chaque pointe ainsi qu'a l'arrière du col. Pas forcément pratique à fermer, le bouton à l'arrière du col assure un parfait maintient de la cravate, en toute circonstance...

L'ouverture jusqu'à mi-poitrine se voit apposé a sa base un carré (ou rectangle) de tissu sur lesquels doivent apparaître les marques de corps de troupe et le matricule. Les tampons de fabrication, de réception et de taille (de 1 à 4) sont apposés de manière assez aléatoire sur la partie basse de la chemise (on peut toutefois trouver ceux de taille au niveau de la nuque).

Sur la poitrine apparaissent 2 poches avec un pli central "watteau" qui se ferment avec une patte boutonnée. L'ensemble des boutons de la chemise, 10 en tout, sont en os, en porcelaine ou pâte de verre kaki/brun.

Les fabrications de 1935 à 1939 se distinguent par l'absence de pli d'aisance dans le prolongement de l'ouverture de poitrine de la chemise. Ce pli apparaît avec les fabrications de "guerre", au cours du premier trimestre 1940.

 

Il existe de nombreuses chemises du "commerce" que pouvaient se procurer les soldats. Ces fabrications reprennent la forme des chemises réglementaires mais se distinguent notamment par l'absence du carré de tissu rapporté en bas de la fermeture de la chemise. 

Ci-contre un gros plan sur une étiquette d'une chemise du commerce.

 

la Chemise modèle 1941

Décrite le 24 novembre 1941, cette chemise appartient au programme de la nouvelle tenue modèle 1941, signe de la volonté de mettre en place une "armée nouvelle" qui se démarque de celle de la défaite de 1940. 

 

Techniquement pas d'évolution majeure pour cette nouvelle chemise, il s'agit d'une pure "mise à jour" du modèle 1935. La seule différence notoire est l'adjonction de pattes d'épaules, une nouvelle habitude consistant à mettre les marques de grade aux épaules faisant son chemin au sein de l'armée.

Autres différences, le pli d'aisance apparu à partir de 1940 sur le modèle 1935 va se pérenniser sur ce nouveau modèle, le carré de tissu rapporté à la base de l'ouverture de poitrine disparaît. Tout le reste est similaire à la modèle 1935. 

 

Ci-contre notre homme porte une chemise modèle 1941 (patte d'épaule légèrement visible). On voit bien sur cette photo que la teinte de la chemise est très claire par rapport au pantalon. Comme pour la chemise 1935, la palette des teintes "kaki" est très large...

Source photo: Forum Militaria1940/Marchordie

 

Parallèlement à la modernisation de la tenue de campagne, une réelle volonté de mettre en avant l'activité physique se fait sentir et conduit à la création de la chemisette de sport modèle 1941.

Fabriquée en toile de coton kaki, cette chemisette qui dispose d'un bouton au col permettant de le fermer est prévue pour être portée col ouvert. Ouverture de poitrine plus courte que sur sa "grande sœur" la chemise 1941, se ferme par un seul bouton (en plus de celui du col). 

Réservée a priori à la l'exercice physique, elle pourra être portée au cours des combats de la libération.

 

La chemise modèle 1941 va continuer à être fabriquée dans l'immédiat après guerre, avant qu'elle ne soit définitivement remplacée par la chemise modèle 1948.

Avant cela elle subira une dernière modification décrite au Bulletin Officiel du 27 juin 1945. La pointe des pattes d'épaules est réduite. 

Ci-contre, à gauche une patte d'épaule de fabrication antérieure à 1945, celle de droite est postérieure à 1945.

Ci-dessus, une chemise modèle 1941 de couleur bleue de chasseur avec les pattes d'épaules du modèle modifié en 1945.

la chemise modèle 1945

Evolution majeure dans la chemise réglementaire française, la chemise modèle 1945 s'inspire des chemises américaines et anglaises utilisées en 1944/1945.

L'ouverture à mi-poitrine est abandonnée pour une ouverture complète fermant par 6 boutons. Les 3 boutons de maintient du col présents sur les modèles précédents disparaissent. Fabriquée en toile de cretonne kaki,  les teintes varient du kaki clair au vert. Les poches sont de confection identique aux modèles 35 et 41 précédents, c'est à dire à pli "watteau". Les boutons de la chemise sont en plastique kaki clair ou brun.

Véritable "carte d'identité" de la chemise modèle 1945, elle dispose à l'intérieur de chaque manche d'une patte de tissu qui permet, une fois la manche adéquatement retournée, de bloquer cette dernière en position haute. Dispositif que l'on ne retrouvera plus sur aucun des modèles postérieurs. 

La chemise ci-dessous est une fabrication civile à destination de l'intendance. Outre la présence d'un 7ème bouton de fermeture, la taille "42 moyen" visible dans le col n'est pas une désignation réglementaire.

 

Ci-contre une chemise modèle 1945 de fabrication réglementaire, comme l'atteste le marquage de taille dans le col. A gauche de la photo, la manche remontée réglementairement est bloquée à l'aide de la patte prévue à cet effet.

Source photo: Forum Passionmilitaria/Armachoc

La chemisette modèle 1946

Cette chemise à manche courte, communément appelée chemisette, reprend la coupe de la chemise modèle 1945. L'expérience de la chemisette de sport modèle 1941 et le côté pratique de la chemise modèle 1945 (pouvoir retrousser les manches et les maintenir retroussées!) ont probablement aidé au développement de cette chemisette à manches courtes. De toile kaki clair, la chemise se ferme par 6 boutons.

Ci-dessous un modèle de fabrication civile à destination de l'intendance, comme en atteste sont étiquette de taille.

la chemise modèle 1948

La chemise modèle 1948 reprend complètement la coupe et la fabrication de la chemisette modèle 1946. Sur ce modèle cependant, les manches sont longues...

En toile de cretonne kaki clair, les poches de poitrine s'inscrivent dans la lignée des chemises réglementaires françaises et présentent les plis "Watteau".  6 boutons de fermeture sur l'avant, en matière plastique.

Ci-dessous cet exemplaire neuf fabriqué à coté de Strasbourg et réceptionné en 1953 présente encore son étiquette de taille en papier kraft.

ECPAD: Distribution de friandises lors des fêtes de Noël au camp retranché de Na San en Indochine, le 26 décembre 1952.
Noel 1952 en Indochine, chemise modèle 1948

 

Ci-contre 3 modèles de boutons observés sur les chemises du modèle 1948. En plastique, celui de droite de nuance plus claire apparaît sur les modèles plus tardifs, ici daté de 1957.

La chemise modèle 1948 a également été déclinée dans une version "hiver". De conception identique à la version en toile, elle est confectionnée en drap kaki foncé. Dans la nuque est présente une étiquette en toile sur laquelle sont inscrits, a priori, taille et nom du soldat.

la chemisette modèle 1949 de type "troupes coloniales"

Indochine 1951: chemisettes EO
Indochine 1951: chemisettes EO

 

Décrite au bulletin officiel du 20 avril 1949, cette chemise à manches courtes apparaît sous la dénomination chemisette EO (Extrême Orient). Fabriquée par l'atelier de coupe et de confection de Saigon, sa conception est similaire à la chemisette modèle 1946 fabriquée en métropole, au détail près des plis Watteau absents des poches de poitrine. Par ailleurs, elle se ferme par 5 boutons et non 6 comme sur le modèle métropolitain.

 

La chemise EO existe également à manches longues, toujours à 5 boutons et sans plis Watteau sur les poches de poitrine.

Source photos: le Poilu, Paris

ECPAD: Noël à travers les âges
Noël 1951 en Indochine, chemises EO manches longues et manches courtes

La chemise modèle 1952

Quasi identique à la chemise modèle 1948, la chemise modèle 1952 se différencie au niveau du col. Ce dernier a les pointes moins prononcées et présente des logements pour y glisser des languettes de plastiques qui rigidifient les pointes. Tout comme la chemise 1948, elle se ferme par 6 boutons.

La chemise chaude modèle 1952

Inspirée des modèles chauds américains et très proche du modèle 1948 "hiver" français, la laine de cette chemise est plus épaisse. Les boutons, au nombre de 6, sont plus grands que sur les chemises standards. Les poches sont dépourvues de plis Watteau.

la Chemise grand froid modèle 1955

Plus anecdotique, cette chemise "grand froid" est copiée au cours des années 50 sur les modèles américains. En laine épaisse, les manches se terminent par des tricotines. Elle ferme à l'aide de 6 boutons, dispose de pattes d'épaules et de poches de poitrine, sans pli Watteau.

Portée notamment par les troupes d'occupation en Allemagne (TOA).  L'exemplaire ci-dessous est daté de 1956. 

la chemise f1

Evolution notable de la chemise de combat, la chemise F1 n'a de chemise plus que son nom. Plus de pattes d'épaules, fermeture à mi-poitrine, on y verrait presque un retour aux sources de la chemise modèle 1935.

Développée au début des années 1970 (l'exemplaire le plus vieux connu à ce jour date de 1975), de conception moderne et pratique, elle sera vraisemblablement distribuée à partir de 1978 pour remplacer la chemise modèle 1948.

A noter qu'il existe également une version bleue destinée à la gendarmerie, la marine et les pompiers.

La chemise F1 en Yougoslavie, 1991/1995
La chemise F1 en Yougoslavie, 1991/1995

les chemises pour la reconstitution historique

Vous venez de survoler un siècle de chemise réglementaire, mais vous ne savez toujours pas quelle chemise sortir pour votre prochaine sortie? Voila un petit récapitulatif: 

  • Première guerre mondiale: chemise modèle 1878
  • 1939/1940: chemise modèle 1935
  • Libération: chemise 1935, 1941 (mais pas que) pour les troupes enrôlées sur le territoire national. US, britannique pour les troupes engagées en Angleterre... bref vaste programme, sujet qui mériterait un article dédié
  • Indochine: chemisette modèle 1946, chemise modèle 1948, chemise modèle 1949
  • Algérie: chemisette modèle 1946, chemise modèle 1948
  • Guerre de Yougoslavie: chemise F1

Toutefois pour vos reconstitutions je préconise toujours d'éviter d'utiliser du matériel d'origine. Une chemise qui a entre 70 et 100 ans ne supportera pas l'effort et fera très vite "crac". Il existe suffisamment de marchands vendant des copies première et seconde guerre mondiale. Pour les conflits plus récents, les stocks sont effectivement encore suffisants, mais on en reparlera dans 30 ans!

Gaston Ladalle.

Merci à Baptiste, Thomas et Vincent pour leur aide.

Sources: "1940 le soldat français"-Bellec; "La Légion Etrangère"-Guyader; "les Paras Français"-Adam&Pivetta;

forum: militaria1940

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Commentaires: 8
  • #1

    Aubert (dimanche, 06 août 2023 15:05)

    Bonjour ,
    Vous avez fait trois erreurs historiques.
    L'une est la première chemisette réglementaire moderne, date de 1938, d'où la datation Mle38, et non de 1946 ou 1947. Les poches de poitrines à la différence de sa grande sœur de 1935, sont plaquées, est bien souvent de coupe carré. C'est-à-dire sans biseautage dans les coins inférieurs. Les rabats sont identiques, C'est-à-dire triangulaires.
    Là aussi la teinte allait du kaki standard, qui donnait un aspect kaki clair, suite à l'imprénation de la teinte dans le tissus. Jusqu'aux kakis verdâtres et verdurés. Un comble pour effet vestimentaire prévu pour l'OM de l'époque. C'est l'ancêtre officiel des chemisettes qui suivirent.
    La deuxième erreur est celle portant sur la chemisette Mle 41 -historiquement prévue pour 39/40- à causes des retards de fabrications des entreprises et autres ateliers des manufactures n'arrivant pas à répondre à temps aux exigences et commandes des armées françaises- apparaîtra donc dans le BO pour le millésime de 1941. Elle sera confectionnée dès le début en toile de nylon, tout comme la culotte-courte qui allait de paire avec le haut. C'est le premier effet vestimentaire moderne fabriqué en toile de nylon au Monde à cette époque. Ce qui permet de classer la France parmi les pays les plus modernes, majeurs et de tout premier plan. Ce que tout le monde a oublié. Il y a eu peut-être des productions en toile de coton, voire de lin. Mais la toile, le fils, la fibre retenu initialement fut le nylon cette tenue est l'ancêtre moderne des tenues de sports et aux activités physiques en France de 1945 jusqu'aux années 90. Avant le déferlement des vêtements de sport type Decathlon et consort, tous produits en Chine, Inde et autres pays de ce genre, en copiant les modèles états-uniens.
    Troisième erreur, la chemise F1. Bien qu'elle fusse dénommée chemise, c'est plutôt une évolution du modèle polo de l'armée française. En effet, nos regards doivent se tourner vers le polo moderne, non pas celui de 1915, mais celui de 1936 -qui est une évolution du précédent. D'où le millésime Mle36. Et plus particulièrement du polo de la gendarmerie prévôtale de l'armée de l'Air de 1937. En effet, ce polo à la différence du modèle 36, reçoit deux poches de poitrine dans le même tissus de fond de l'effet et à la coupe identique de la chemise Mle35, ainsi qu'une fermeture éclair en guise de fermeture de poitrine et de col. C'est réellement l'ancêtre de la chemise F1, dont la première apparition -vue sur photos d'époque- remonte à 1973.
    C'est tout comme avec la teinte de camouflage universelle, dite Vert Armé norme OTAN. Dont le millésime remonte à 1963 et non 1968 comme nombres de spécialistes aiment à le dire et l'écrire.

  • #2

    Aubert (dimanche, 06 août 2023 15:18)

    Re-bonjour,
    J'oubliais de vous faire remarquer, dans votre présentation de qualité, il manquait le gramage et la teinte exacts retenus dans chaque cahier des charges de fabrication. Les y marquer, puis les expliquer serait un plus, pour le sérieux de votre présentation.
    Bonne et cordiale continuation .

  • #3

    Gaston Ladalle (lundi, 07 août 2023 08:28)

    Bonjour Aubert,

    Merci pour votre commentaire qui ne manquera pas d'éclairer la lanterne des lecteurs passants sur cet article.
    Quant à votre remarque sur le grammage et teinte, je ne peux malheureusement y répondre n'ayant pas la doc ni les infos nécessaires.
    Cordialement
    Gaston

  • #4

    Christian (samedi, 14 octobre 2023 14:41)

    Bonjour,
    Concernant la chemise F1, la version bleue a également été distribuée aux troupes de montagne pour la tenue spécifique ski de piste, de compétition, stage à l'EMHM, etc.
    Les chemises Mle 48 et Mle 52 ont été fabriquée en version bleu chasseur pour les chasseurs à pied, moto, méca et alpins.
    Idem pour la chemise dite "laine" Mle 48. Pour le Mle 52: ?
    Cordialement

  • #5

    Gaston Ladalle (lundi, 16 octobre 2023 21:10)

    Bonjour Christian, merci pour vos précisions.

    en attendant de mettre la main dessus et faire une mise à jour.

    Cordialement
    Gaston

  • #6

    Aurélien (lundi, 11 décembre 2023 16:43)

    Bonjour Aubert, avez vous plus d'infos sur la "chemise mle 1938"?
    Cdlt,
    A.J

  • #7

    Christian (jeudi, 14 décembre 2023 22:03)

    Bonjour.
    La chemise F1 a été initialement fabriquée avec 2 longueurs de manches pour une taille donnée. Petite manche (PM), grande manche (GM). La photo de l'étiquette datée de 1975 l'illustre bien. Ce système a été assez vite abandonné par la suite pour des fabrications avec une seule longueur de manche par taille. De mémoire il me semble que cela tourne autour de la fin des années 80. A vérifier si possible.

  • #8

    Gaston Ladalle (lundi, 18 décembre 2023 12:55)

    Bonjour Christian,

    merci beaucoup pour l'info, nous essaierons de trouver plus d'info la dessus.
    Cordialement
    Gaston